Pourquoi je n’arrive jamais à finir ce que je commence.

Il y a des projets que l’on débute avec une énergie presque exaltée. Une idée qui germe, une envie qui prend forme, une impulsion sincère. Et puis… quelque chose s’épuise. Le souffle du départ s’essouffle. Le projet traîne, puis s’efface, doucement.

Cette expérience est partagée par beaucoup. Pourtant, elle s’accompagne souvent de jugements sévères : manque de volonté, instabilité, paresse. Mais est-ce vraiment aussi simple ? Dans cet article, j’aimerais vous proposer un regard sur cette difficulté à “finir ce que l’on commence”. Mais avant de poser un regard plus large sur ce phénomène, laissez-moi vous raconter l’histoire de Camille*, l’une de mes patientes, dont le parcours met en lumière ce mécanisme si fréquent.

(*son nom a été changé)

Camille “ne finit jamais rien”

C’est ainsi qu’elle se présente dans mon cabinet. “Je n’en peux plus, je ne finis jamais rien, je ne construis rien. Le constat est pitoyable, j’ai quand même 35 ans ! Et pourtant, je suis quelqu’un de passionnée !”

Camille est une jeune femme très agréable, de nature créative et très curieuse. Très inspirée par la nature et les arts, elle a souvent des idées “fulgurantes”, me dit-elle, de projets créatifs très différents pour lesquels elle ressent un élan très fort. Au départ, le projet prend tellement de place que son sommeil peut en être perturbé. Elle a parfois le sentiment que ses projets sont si prenants qu’elle pourrait mettre le reste de sa vie en pause. Elle est à “fond”.

Et puis, d’un coup, sans qu’elle ne s’en rende compte, elle se réveille un matin et l’engouement du projet a totalement disparu. Elle me dit ne pas pouvoir contrôler les choses, ce qui est extrêmement frustrant. Son entourage la qualifie “d’instable”, “touche-à-tout mais bonne à rien”.

“Je n’ai aucune constance dans mes projets et, de ce fait, je ne me fais aucune confiance. Lorsque je débute un projet, je sais par avance que son abandon est proche et je prie pour que ce jour arrive le plus tard possible.”

Camille a donc développé une sorte de fatalisme quant à sa capacité à terminer les choses. Au fil des années, cela s’est étendu au reste de sa vie : les sphères professionnelle et personnelle en ont été impactées. Camille s’ennuie vite, plus rien ne l’intéresse vraiment. “J’ai toujours beaucoup d’envies, mais à quoi bon.”

Ce que l’abandon d’un projet peut révéler

Voici quelques pistes de réflexion pouvant refléter les causes de l’abandon d’un projet. Il est essentiel de ne pas se juger sévèrement. Abandonner un projet n’est pas un échec et ne fait pas de vous quelqu’un d’instable ou de non fiable. Interrogez-vous plutôt sur ce que ce comportement peut dire de vous.

La peur de réussir

Cela peut paraître paradoxal. Pourtant, réussir signifie parfois changer. Et le changement, même positif, peut faire peur. Terminer un projet, c’est parfois s’exposer, prendre un risque, faire face à de nouvelles responsabilités ou attentes.

Camille m’explique que si ses projets fonctionnaient, elle aurait sans aucun doute une vie différente. “Ce serait ma vie de rêve”, me dit-elle. Mais cette vie de rêve, comme elle l’appelle, est justement un rêve. Dans le fond, Camille ne croit pas vraiment en cette vie et, d’ailleurs, elle ne croit pas vraiment en elle non plus. Elle me dit “ne pas mériter” que les choses aillent bien pour elle.

Le perfectionnisme

Le besoin que tout soit parfaitement maîtrisé peut devenir une entrave. Certains projets s’arrêtent, non par désintérêt, mais parce que la pression de “bien faire” devient trop lourde à porter.

Camille est une perfectionniste. Cela peut se traduire de deux façons. La première est de ne même pas commencer un projet car la montagne semble trop grande à gravir. La seconde est de s’arrêter à la moindre difficulté.

Ne pas parvenir à la perfection, autrement dit ne pas être à la hauteur de ses propres exigences, peut entraîner un grand sentiment de dévalorisation. Camille m’exprime qu’à la moindre difficulté, dès qu’une chose la bloque, elle doit s’arrêter. Les difficultés entraînent chez elle beaucoup de ruminations et d’agitation mentale.

Le flou du départ

Certains élans naissent d’un enthousiasme sincère, mais sans direction claire. Sans objectif défini ou sens profond, il devient difficile de garder le cap. Le projet s’effiloche doucement, faute d’ancrage.

Camille débute souvent ses projets par une inspiration, un élan du cœur, qui lui confèrent une grande certitude intérieure. C’est presque instinctif, évident. Et Camille aime beaucoup ce genre de sentiments. Cela lui suffit, car, de nature très intuitive, elle aime suivre ce qui se présente sans nécessairement penser à la suite.

La perte d’élan

Le début d’un projet est souvent euphorique. Mais une fois passée la nouveauté, il faut entrer dans une phase plus stable, parfois répétitive. C’est à ce moment que beaucoup décrochent.

Camille déteste l’inactivité et l’ennui. Elle aime quand tout est en ébullition. Ce qu’elle aime surtout, c’est la phase de développement du projet, le tout début, lorsqu’elle se sent “pousser des ailes”, que “tout semble possible”. Elle aime faire le premier pas et n’a d’ailleurs aucune difficulté à se lancer, à avancer vers l’inconnu.

Le besoin de reconnaissance

Lorsque l’on dépend du regard des autres pour avancer, un manque de retour peut être perçu comme un désaveu. L’absence de reconnaissance peut ralentir, voire figer complètement le mouvement.

Camille me partage un souvenir d’enfance durant lequel elle avait offert à son père une reproduction de l’un de ses peintres préférés. Elle avait passé des soirées entières, en cachette, à peindre ce tableau. Lorsqu’il avait ouvert son cadeau, il avait critiqué le talent de Camille et avait rangé le tableau dans un placard avant de le jeter. Camille a retenu qu’elle n’avait aucun talent artistique et que ses élans créatifs feraient mieux d’être retenus.

Intention, engagement et confiance : les clés d’un projet réussi

Au risque de peut-être vous décevoir, sachez qu’il n’existe pas de solution universelle. Nous sommes tous différents, marqués par des histoires différentes et face à des enjeux différents. Cependant, trois éléments semblent être fondamentaux pour aller au bout de ses projets : l’intention, l’engagement et la confiance.

Revenir à l’intention initiale

L’intention initiale, c’est le “pourquoi” de votre projet. Avant de vous lancer, demandez-vous : quelle est l’intention derrière ce projet ? Répond-il à une valeur fondamentale ? À un désir ? À un appel intérieur ?

Lorsque notre intention est définie, elle devient un levier tout au long du projet. Une intention forte a une puissance inestimable. Et si vous ressentez une perte d’intérêt, demandez-vous si votre intention est toujours présente, toujours valable. Parfois, reconnaître qu’un projet ne nous correspond plus est un acte de fidélité envers soi-même.

Définir votre degré d’engagement

Lorsque l’intention est claire, évaluez votre engagement. À quel point souhaitez-vous vous engager ? Et à quel point le pouvez-vous, ici et maintenant ?

En logothérapie, on parle d’investir un projet, au sens d’y déposer une part de soi, de son élan, de son désir profond de faire advenir du sens. Ce n’est pas simplement “faire” un projet, mais s’y relier intérieurement, y engager une intention qui nous dépasse, qui répond à quelque chose de plus vaste que la simple réussite. Investir un projet, c’est lui accorder de la valeur au regard de ce que nous sommes appelés à être. C’est choisir, en conscience, de poser un acte qui participe à notre accomplissement intérieur — un acte libre, responsable, et orienté vers un sens qui nous est personnel.

Avoir confiance en soi, se reconnaître soi-même

L’intention et l’engagement seraient incomplets sans la confiance. Ce trio est indissociable. Avoir confiance en soi, se sentir digne, méritant, capable, et s’aimer, participent au bon déroulement d’un projet.

Reprenons l’exemple de Camille et de la peinture offerte à son père. Dans d’autres circonstances, Camille aurait pu se dire ces quelques mots tendres, tout en se tapotant très doucement la zone de la poitrine (*) :

“Ma chère Camille, je comprends que tu sois triste en ce moment même, oui, ce doit être douloureux pour toi. Je ressens ta tristesse dans toute ta poitrine. Le cadeau que tu as offert à ton père était empreint d’amour, et l’intention que tu y avais mise était immense. Ton père n’a pas su voir cela. Mais cela ne veut pas dire que tu n’as pas de talent. Tu t’es attaquée à une œuvre artistique immense alors que tu n’as même jamais pris de cours de dessin ou de peinture ! Tu en as de l’audace ! Je trouve cela magnifique. Et puis, aucun grand peintre n’est devenu mondialement connu en peignant sa première toile. Tous les artistes, toutes disciplines confondues, ont travaillé dur. Ils ont parfois répété leurs gestes des milliers de fois avant d’arriver à une certaine satisfaction. Imagine si Gustav Klimt s’était arrêté de peindre après son premier coup de pinceau ? Il n’aurait jamais pu exprimer toute la beauté qu’il a peinte plus tard dans ses toiles. Laisse-toi le temps d’apprendre, de recommencer. Laisse-toi le temps d’être, tout simplement.”

Si Camille avait pu se dire ces mots, elle n’aurait peut-être pas souffert d’un tel manque de confiance et de validation dans tout ce qu’elle entreprend.

(*) Ce geste d’affection est très puissant, particulièrement pour les personnes qui ressentent de l’insécurité, qui ont un manque de confiance et ressentent une grande dévalorisation d’elles-mêmes.

Finir ne veut pas dire réussir

L’arrêt d’un projet peut être un bon choix, quelque chose de bon, pour vous. En logothérapie et en analyse existentielle, on fait la différence entre la réussite et l’accomplissement.
Admettons que vous alliez au bout d’un projet, coûte que coûte, mais que vous n’y trouviez aucun plaisir. Vous aurez réussi au regard de la société, vous serez peut-être même une figure de réussite et de succès. Mais dans le fond de votre cœur, vous ne vous sentirez pas accompli. Réfléchissez à cela et à ce qui compte vraiment pour vous.

Valoriser l’avancée, même partielle

Ce qui n’est pas “fini” n’est pas forcément inutile. Ce qui a été commencé, exploré, pensé, a eu une existence. Chaque étape compte. Chaque élan mérite d’être reconnu, même s’il n’a pas de “fin” visible.

Changer de regard sur la fin

Et si terminer n’était pas toujours une obligation ? Certains projets n’ont pas besoin d’aboutir pour avoir du sens. Ils existent pour nous transformer, pour nous éclairer, parfois seulement le temps d’un passage. Ne pas finir un projet ne signifie pas nécessairement avoir échoué. Cela peut vouloir dire que quelque chose a changé en soi. Qu’un besoin s’est apaisé, qu’un chemin a bifurqué. Abandonner, dans certains cas, c’est aussi savoir écouter ce qui ne résonne plus.

Accueillir le mouvement naturel des cycles

Tout ne dure pas. Tout ne se conclut pas. Il y a des débuts qui n’appellent pas de fin, et des fins qui se posent d’elles-mêmes, sans bruit. C’est peut-être cela, aussi, la vie des projets : une suite de respirations, pas toujours linéaires.

Et pour conclure…

Apprendre à reconnaître ce qui nous anime, ce qui nous freine, et ce qui nous transforme, c’est aussi apprendre à se connaître en profondeur. Derrière chaque projet entamé, mis en pause ou abandonné, il y a une histoire, une émotion, un besoin. Il ne s’agit pas toujours de finir coûte que coûte, mais de cheminer avec soi-même, avec bienveillance. Et peut-être qu’en changeant de regard, nous apprendrons à honorer autant les débuts que les détours, les pauses, ou même les renoncements. Parce que chaque projet, même inachevé, a quelque chose à nous dire.

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Perte de sens : Trois voies pour donner une direction à notre existence