Accéder à ses émotions : déconstruire avant de ressentir
« Écouter et accueillir ses émotions », voilà ce qu’on entend partout — presque comme une injonction. Cela peut paraître simple, évident même. Mais lorsque nous faisons face à des émotions difficiles, à des blocages anciens ou à des traumatismes, se mettre en lien avec ce que nous ressentons peut devenir tout simplement impossible.
Quand ressentir devient difficile
Je m’adresse ici à celles et ceux qui ont de véritables difficultés à contacter leurs émotions. Celles et ceux qui fuient. Qui compensent. Qui connaissent l’anesthésie ou la dissociation. Celles et ceux qui ont peur, qui luttent, qui s’efforcent… mais qui n’y parviennent pas.
Comment accueillir et écouter ses émotions dans ces conditions ?
Avant d’essayer d’entrer en lien avec notre monde intérieur, il est essentiel de comprendre ce qui nous en éloigne. Dans cette série d’articles, je vous propose d’explorer ce chemin par étapes. Aujourd’hui, faisons un tour d’horizon de ce qui nous conditionne, souvent à notre insu, et qui rend l’accès à nos émotions si complexe.
Une société du faire, pas de l’être
Très souvent, nous agissons contre nous-mêmes sans même nous en rendre compte.
Et devinez quoi ? Nous n’en sommes pas entièrement responsables.
Nous vivons dans une société centrée sur l’action, sur la performance, sur le faire. Une société qui valorise la rapidité, la productivité, l’efficacité. Mais qui nous apprend rarement à être. Les technologies, les réseaux sociaux, le rythme effréné du quotidien… Tout semble conçu pour nous garder dans un mouvement permanent, et nous éloigner de notre propre vie intérieure. Dans cette course, nous perdons le temps de penser à nous, à nos ressentis, à nos rêves, à nos blessures. Et cette donnée n’est pas récente : des penseurs comme Pascal ou Tocqueville mettaient déjà en garde, dès le XVIIᵉ siècle, contre la peur du vide et la fuite dans le divertissement.
Nos déterminismes : ces influences invisibles
Nous grandissons au sein de ce que l’on appelle des déterminismes :
notre famille, notre éducation, l’école, la culture dans laquelle nous baignons, la langue que nous parlons, et même l’inconscient collectif de notre pays.
Peu à peu, ces influences s’accumulent, façonnent nos repères, et éteignent, sans qu’on s’en rende compte, notre capacité à ressentir. Elles imposent des normes, des injonctions, des croyances sur ce qu’il faut être ou ne pas être. Et notre liberté se réduit à vue d’œil.
Dans ces conditions, il est compréhensible — voire inévitable — de se sentir coupé de soi. De vivre une dissociation entre le mental et le corps. Entre les émotions et les sensations.
Prendre conscience pour reprendre son pouvoir
Notre liberté est donc conditionnée, et nous ne portons pas l’entière responsabilité de ce que nous sommes — tant que nous n’en avons pas conscience. Mais à partir du moment où la lumière se fait, notre responsabilité commence ici :
en prenant conscience de nos déterminismes, et en les déconstruisant, pas à pas.
C’est un acte fondateur d’amour de soi. Car nous portons parfois, sans le savoir, des responsabilités qui ne sont pas les nôtres. Reconnaître cela, c’est déjà s’en libérer. Et c’est ainsi que nous pouvons reprendre notre pouvoir intérieur.
Nous pouvons aussi faire le tri dans nos émotions : celles qui nous appartiennent… et celles qui ne nous appartiennent pas.
L’amour de soi : une condition essentielle
La notion d’amour de soi est ici centrale.
Car le chemin des émotions est un chemin intime, souvent long, parfois chaotique — et toujours sacré.Il demande de la patience, de la douceur, et un regard profondément bienveillant.
L’un des pièges les plus fréquents est de juger nos émotions :
« Je ne devrais pas ressentir ça. »
« Ce n’est pas normal. »
« J’ai compris, je peux passer à autre chose. »
Mais les émotions ont leur propre rythme. Elles ne se présentent que lorsqu’elles sont prêtes. Et elles passent par les endroits du corps qui résonnent avec leur histoire.
Notre corps, lui aussi, parle. Il ne nous trahit jamais. Il nous informe, nous protège, nous guide.
Être sensible, c’est être vivant
Être sensible à son corps, à ses émotions, à ses sensations,
ce n’est ni être faible,
ni être marginal,
ni être "trop".
C’est être.
Tout simplement.
Conclusion
Nous ne sommes pas des êtres à réparer, ni des machines émotionnelles à optimiser. Nous sommes des êtres en chemin, souvent cabossés, parfois éteints, mais toujours capables de revenir à nous. Revenir vers nos émotions ne commence pas par un effort. Mais par une permission. Celle de reconnaître ce qui nous en a éloignés. Et dans cette reconnaissance naît une nouvelle tendresse envers soi-même. Une ouverture.
Accueillir ses émotions, ce n’est pas se forcer à ressentir. C’est d’abord s’ouvrir à la possibilité d’y revenir… un jour, à son rythme. Et ça, c’est déjà immense.
Pour aller plus loin...
Je vous invite à lire l’article Accueillir ses émotions grâce à la pleine conscience, dans lequel nous explorerons ce moment où, peu à peu, le contact redevient possible. Quand les émotions reviennent — parfois en douceur, parfois comme un torrent — et que s’ouvre alors un nouveau défi : celui de les accueillir sans peur, sans jugement.
Mais pour l’instant, souvenons-nous de ceci :
Reconnaître ce qui nous a coupé de nos émotions, c’est déjà entrer en relation avec elles.